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sensiblement
25 décembre 2013

NOEL

J'ai cherché longuement ce texte tant aimé de mes souvenirs d'enfance, je l'ai trouvé grâce à internet.... je vous l'offre pour vous souhaiter "un TRES BON NOEL"

 

L'ORANGE DE NOEL

"Noël, dans mon enfance, c'était le jour où on me donnait une orange, et c'était un grand événement. Sous la forme de cette pomme d'or, parfaite et brillante, je pensais tenir dans mes mains le bonheur du monde.

Il dut y avoir un temps où je la trouvais le matin au coin du feu ou plutôt au pied du fourneau, mise dans mon soulier par quelque spécial messager du ciel. Mais de ce temps, je me souviens mal. Mes souvenirs ne remontent qu'à une époque où la veillée de Noël n'était pas pour moi moins pleine d'un profond mystère, mais c'était un mystère que déjà j'essayais de penser. J'avais dans les huit ans. Donc, cette nuit-là, il semblait que tout soudain nous fussions devenus magnifiquement riches. On attendait la messe de minuit et, pour passer le temps, on grillait des châtaignes en buvant du cidre avec les voisins. Vers les onze heures, ma mère me donnait quelques sous et m'envoyait acheter une orange et une demi-livre de chocolats mélangés. Et fais bien attention ! me disait-elle. Demande qu'on t'en donne à la crème blanche. Ils sont bien meilleurs.

Je partais comme pour une expédition, comme pour découvrir un nouveau monde. Le monde ne devait-il pas changer cette nuit-là ? Je courais, je volais. J'entends encore le claquement de mes sabots sur les dalles de granit qui bordaient le trottoir. Ah ! dans l'air glacé, quelle étrange ardeur ! C'est peut-être que je n'avais pas souvent l'occasion de sortir à cette heure-là, mais il est bien vrai aussi que tout annonçait un miracle. La nuit était lourde d'un Dieu. La rue, si noire d'ordinaire, était illuminée. Le brouillard autour des réverbères formait comme de grands cercles d'or et des auréoles toutes prêtes pour des hommes d'une nouvelle vertu. Les vitrines des épiciers, des marchands de jouets, des cafés, étaient, parmi les masses d'ombre des maisons, comme autant d'abîmes de lumière. Je passais en frémissant de l'ombre à la clarté.

Je sautais de vitrine en vitrine. Car on pense bien que je ne dilapidais pas sans réflexion cette fortune que je serrais dans ma main fermée. Je réfléchissais, j'examinais, je calculais. Mon trésor ne devait payer que la plus belle orange. Je bondissais chez Fichepoil, courais chez Ealet, revenais encore chez Fichepoil. Qui dira ce que peut être dans un enfant l'intensité du désir et sa certitude de toucher bientôt au bonheur ? C'est ce désir et cette certitude qui ne doivent pas être trompés, et un Dieu naissait cette nuit-là précisément pour les combler.

Je revenais un peu avant minuit portant dans une main une admirable orange enveloppée d'un papier de soie, dans l'autre un sac de chocolats à faveur rose. Alors c'était toujours la même cérémonie : je faisais le tour de la société et distribuais à chacun un chocolat qu'il grignotait du bout des dents, et c'étaient des cris quand quelqu'un avait découvert à l'intérieur la fameuse crème blanche. Ma mère en pâlissait d'envie.

 

Après cette orgie, les femmes et les enfants s'en allaient à la messe pour assister à la naissance d'un Dieu…Et puis, après une visite à la crèche … nous rentrions à la maison. Le feu était éteint déjà, la fête finie. Il fallait vite aller dormir. Je regardais ma belle orange. Et voici ce qui, rituellement, arrivait : ma mère la tirait de son papier de soie ; tous deux nous en admirions la grosseur, la rondeur, l'éclat ; je prenais dans le buffet un de ces beaux verres à pied en cristal qu'on achetait alors dans les foires, et comme il y en avait deux ou trois, en ce temps-là, en Bretagne, dans presque toutes les maisons ouvrières, mais dont, bien entendu, on ne se servait jamais pour boire, je le renversais, le mettais à droite, au bout de la cheminée, et ma mère posait dessus la belle orange. La pomme d'or prenait ainsi sa place parmi tous nos fétiches, tout près du petit Christ d'argent cloué sur sa croix de buis et de la petite Vierge en faïence, entre le moulin à café et la boîte à sel. Pendant des mois, elle nous assurait par ses belles couleurs que le bonheur et la beauté étaient de ce monde. Quelquefois je la palpais, je la tâtais. Il m'arrivait d'insinuer qu'elle serait bientôt trop mûre.

- Attendons encore ! répondait ma mère. Quand nous l'aurons mangée, qu'est-ce qui nous restera ?

Nous attendions. En avril ou mai, il fallait la jeter, parce qu'elle était gâtée. Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais mangé l'orange de Noël.

... Mais toujours, dans ma pensée, la nuit de Noël devra sa grandeur à ces souvenirs que j'ai rapportés, et il m'arrive encore de songer au bonheur comme à une belle orange de Noël qu'il faudrait partager entre tous les hommes pour que réellement ils la mangent."

 

Jean Guéhenno, Changer la vie, mon enfance et ma jeunesse

 

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Commentaires
M
J'adore cette histoire, je l'avais eu en dictée quand j'étais gamine ..... c'est resté gravé en moi .... j'ai connu les oranges à Noel...<br /> <br /> Merci Pierrot
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P
Ah oui! Je connais ce texte très beau. Ma grand-mère m' a raconté "son" orange aussi !
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